Cours en ligne et simulateur de thermodynamique appliquée

Modèle RTM(E)

Articulations des connaissances scientifiques : le modèle RTM(E)

Lorsqu'un enseignant veut définir le contenu de son enseignement, disposer d'une typologie adéquate pour décrire les connaissances à transmettre nous semble aussi essentiel que de préciser les objectifs pédagogiques.

Pour aborder ce sujet, la didactique met l'accent sur la distinction aujourd'hui classique entre savoir et savoir-faire. Develay précise que "les connaissances déclaratives sont de l'ordre du discours, du savoir, alors que les connaissances procédurales sont de l'ordre de l'action, du savoir-faire". Cette distinction est bien évidemment essentielle, mais elle est trop globale pour notre propos.

Faute d'avoir trouvé dans la littérature un modèle qui réponde pleinement à notre attente, nous en proposons un, appelé RTM(E), dans lequel les connaissances à transmettre sont regroupées en quatre grandes catégories reliées entre elles, appelées la Réalité, la Théorie, les Méthodes (et les Exemples).

L'étude de la Réalité (ou encore des faits, de la nature, du terrain, du monde, de la technologie…) par l'observation, l'analyse et l'expérimentation, permet de développer ou d'affiner la Théorie , c'est-à-dire un schéma explicatif mettant en évidence les ressemblances des différentes observations de la Réalité, et les expliquant de manière à la fois cohérente et aussi simple et générique que possible. La Théorie d'une part constitue ainsi une grille de lecture de la Réalité, et d'autre part sert de guide pour l'élaboration de Méthodes (et/ou d'outils opérationnels) de résolution de problèmes, faisant si nécessaire appel à des concepts spécifiques.

Cette typologie structure de manière très féconde les connaissances relatives à une discipline scientifique, surtout si elle est complétée par les principaux Exemples d'application, qui illustrent très concrètement comment résoudre (grâce aux Méthodes et dans le cadre d'une Théorie) une classe de problèmes relative à un aspect particulier (de la Réalité).

L'apprentissage d'une discipline scientifique suppose ainsi l'acquisition à la fois de connaissances déclaratives pour la Réalité et la Théorie, et de connaissances procédurales pour les Méthodes, qui correspondent essentiellement à du savoir-faire. Lors de l'étude des Exemples, les élèves acquièrent d'une part des connaissances sur la Réalité, et d'autre part de la pratique des Méthodes. C'est à cette occasion qu'ils voient comment la théorie peut être appliquée au monde réel, selon des règles qui, bien qu'éventuellement spécifiques à un exemple, s'inscrivent toutes dans le même cadre théorique.

Lors de la présentation des Exemples, il est essentiel que les enseignants passent le temps nécessaire pour bien faire le lien entre la description des technologies et les hypothèses de modélisation qui sont faites dans les Méthodes. Il faut par exemple, expliquer avec soin pourquoi un compresseur ou une turbine peuvent le plus souvent être considérés adiabatiques, pourquoi un échangeur de chaleur ou une chambre de combustion fonctionnant en système ouvert[1] sont en première approximation isobares…

Les Exemples jouant un rôle fondamental dans l'apprentissage, il est impératif qu'ils soient réalistes, faute de quoi la perception qu'auront les élèves du champ de la discipline sera erroné : ils auront l'impression qu'elle ne résoud pas les vrais problèmes. Cette dernière remarque est un argument à charge contre la méthode classique d'enseignement de la thermodynamique : à trop mettre l'accent (pour soi-disant simplifier les choses) sur les modèles de gaz parfait, les élèves finissent par penser que la capacité de résolution de la discipline y est limitée.

Réalité, Théorie, Méthodes et Exemples constituent une part essentielle de ce que Kuhn, dans la postface de la 2ème édition française de La Structure des Révolutions Scientifiques, appelle la matrice disciplinaire, qui représente ce qu'un groupe de scientifiques a en commun (au lieu de Réalité, il parle de nature, au lieu de Théorie, de généralisations symboliques, mais le sens est bien le même, et il insiste fortement d'une part sur l'objectif de la "science normale" qui est de résoudre des énigmes , ce qui nécessite la mise au point de Méthodes, et d'autre part sur le rôle-clé joué par les Exemples). L'importance de la matrice disciplinaire tient à ce qu'elle est caractéristique de l'identité du groupe et à ce que son contenu fait partie intégrante de la formation des étudiants, du fait du rôle fondamental qu'elle joue dans la structuration des schèmes. Ceci rejoint une remarque de Develay, qui indique que "les savoirs à enseigner constituent l'héritage qu'une génération souhaite léguer aux suivantes".

En retenant ces quatre catégories, nous pouvons décomposer l'ensemble du contenu d'un enseignement d'énergétique de la manière suivante.

La Réalité

L'étude de la Réalité recouvre celle des faits, de la nature, du terrain, du monde, de la technologie… Le contenu de l'enseignement ne prête ici pas particulièrement à controverse. Il faut présenter d'une part les différentes technologies et leurs usages, d'autre part les propriétés de la matière, au moins sur le plan qualitatif, et enfin la typologie des problèmes posés. Pour cela, les modalités pédagogiques les plus utilisées sont des visites, des exposés, des présentations de diaporamas, des projections de films, des lectures, des démontages/remontages, des travaux pratiques… Signalons aussi que la Réalité représente une partie très importante de l'enseignement, les connaissances initiales des élèves sur ce sujet étant très réduites, du moins en formation initiale.

Les points suivants nous semblent devoir être abordés :

  • la problématique contextuelle, notamment environnementale

  • les types de problèmes posés (conception - dimensionnement, audit - amélioration, régulation)

  • l'architecture des différentes technologies

  • la description des technologies, avec présentation des principales contraintes constructives, notamment au niveau des matériaux utilisés

  • l'historique des technologies, les réalisations industrielles, les constructeurs

  • la documentation technique, les ordres de grandeur constructifs

  • la présentation qualitative des propriétés des fluides

La Théorie

La théorie de la thermodynamique couvre un domaine très large (hypothèses, équations, modèles des fluides…), et des choix doivent être faits dans ce qui est exposé. En matière de Théorie, les élèves ont généralement quelques connaissances initiales, malheureusement souvent fragiles et parcellaires, qu'il faut reprendre, le plus souvent par des présentations magistrales et des travaux dirigés. C'est sans doute à ce niveau que les débats sont aujourd'hui les plus forts, notamment sur la question des équations à présenter.

Les autres thèmes à enseigner sur le plan théorique sont généralement :

  • le cycle de Carnot, qui constitue la référence pour de nombreux cycles

  • la thermodynamique des composants simples (compression, détente, combustion…), au moins sur le plan qualitatif

  • la théorie des échangeurs de chaleur

Les Méthodes

Les Méthodes permettent de passer de la théorie aux applications, et notamment à la résolution des problèmes posés dans le cadre des Exemples. Ce passage correspond à l'acte de modélisation et à l'acquisition d'un savoir-faire. En inversant la perspective, on peut dire que la théorie représente des abstractions des différentes méthodes de résolution.

Pour préciser ce que nous entendons par là, considérons l'expression du premier principe pour un système ouvert[1] dans lequel l'énergie cinétique peut être négligée . Le calcul pratique (Méthode) d'un échangeur s'écrit Delta h = Q, celui d'un compresseur ou d'une turbine Delta h = tau, et celui d'une détente sans travail Delta h = 0. Ce sont là trois formes de la même abstraction (Théorie) du premier principe, qui s'écrit Delta h = tau + Q.

La connaissance des Méthodes qu'ont les élèves est la plupart du temps embryonnaire, car découplée des applications. Comme nous l'avons vu, l'enseignement peut ici beaucoup bénéficier de l'étude des Exemples de base résolus et de la pratique d'exercices destinés à rendre les élèves opérationnels. C'est essentiellement à ce niveau que les simulateurs présentent de l'intérêt comme supports pour des pédagogies innovantes.

Les savoirs concernés sont à notre sens (et nous ne pensons pas non plus qu'il y ait là matière à controverse particulière) les suivants :

  • l'utilisation des fonctions d'état et grandeurs usuelles (h, Q, tau,…)

  • l'utilisation des diagrammes

  • l'établissement des bilans conservatifs et entropiques

  • la méthodologie du calcul des composants simples (compression, détente, combustion…)

  • les courbes caractéristiques des composants

  • le calcul pratique des échangeurs (DTML, NUT)

  • les principes de modélisation des systèmes complexes

Les Exemples

C'est autour des Exemples que s'explicitent le plus clairement les liens qui existent entre les trois pôles de référence (Réalité, Théorie, Méthodes). D'où leur importance fondamentale lors de l'apprentissage de la discipline. Pour les raisons évoquées plus haut, il est en particulier indispensable que ces exemples soient réalistes et qu'ils montrent par quelles méthodes les théories sont mises en application. Les présentations sont généralement centrées sur :

  • les quatre exemples de base : machines frigorifiques, centrales à vapeur, turbines à gaz, et moteurs alternatifs à combustion interne.

  • leurs variantes

Références

Develay, M. , De l'apprentissage à l'enseignement, ESF, 1992

Kuhn, T.S. , postface à "La Structure des révolutions scientifiques", Flammarion, 1972

  1. Systèmes ouverts et fermés

    Un système thermodynamique désigne une quantité de matière isolable de son environnement par une frontière fictive ou réelle. Ce système est dit fermé s'il n'échange pas de matière avec l'extérieur à travers ses frontières ; sinon il est dit ouvert. Les débutants sont souvent décontenancés par la distinction entre systèmes fermés et systèmes ouverts, ces derniers correspondant à un concept nouveau pour eux car au cours de leur scolarité de premier cycle, ils n'ont généralement étudié que des systèmes fermés (pour éviter la prise en compte des échanges de matière aux frontières).

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